Orson Scott Card doit jubiler depuis environ un an en se disant que ça y est ! Son œuvre de SF est enfin portée au grand écran. Ayant lu la Stratégie Ender pour la première fois quand j’avais 10 ans, moi aussi je trépignais d’impatience à l’idée de voir enfin arriver ce petit bout de nostalgie devant mes mirettes !
Adapter l’histoire : check
Voilà, pour une fois, un film qui ne se propose pas de fantaisies, d’ajouts inutiles qui alourdissent l’histoire. Le film suit les événements qui se déroulent dans le premier Tome de ce cycle avec le zèle le plus impressionnant de la création. On sent que l’auteur était proche de la chose et ne voulait pas la voir dénaturée par des scènes provenant d’un autre livre ou des conneries du genre. Wait…
Revenons rapidement dessus. La Terre a subi il y a quelques années une invasion extraterrestre d’importance. Les doryphores, des espèces d’insectes de l’espace avec le classique esprit de la ruche ont décidé qu’une planète toute bleue c’était joli. L’humanité est sauvée grâce au sacrifice d’un seul homme : le commandant, que dis-je le héros, Mazer Rackham qui détruit le vaisseau mère alien, le détruisant et désactivant, au passage, les essaims de chasseurs qui menaçaient le monde. Une scène d’ouverture du film, très intimement liée à l’univers et qui reviendra régulièrement.
Notre héros, Andrew « Ender » Wiggins est un jeune garçon. Comme la plupart des enfants dans ce climat de guerre post-invasion, il est poussé dès son plus jeune âge à affuter son esprit tactique. Il est le troisième fils de sa famille, quelque chose de rare (population limitée, tout ça) mais on ne saura jamais exactement pourquoi dans le film, juste qu’un troisième, ça coûtait cher ! Poussé donc à affuter son esprit militaire et tactique pour pouvoir intégrer l’école de guerre où il apprendra à devenir un grand commandant sous la main experte d’officiers supérieurs manipulateurs et désintéressés par les dommages qu’ils causent.
Critique de la société et de la militarisation de l’enfance, drame psychologique, action en apesanteur, l’œuvre a tout pour séduire. Pourtant, le film peine à convaincre, peine à saisir, et la raison qui se cache là-dessous est simple, le réalisateur a l’air d’avoir raté le point important des livres.
Le cul entre deux chaises
Le problème quand on a tout pour plaire, c’est qu’il faut bien faire plusieurs choses. Difficile dans un film de couvrir environ 6 ans de la vie d’un personnage, on choisit donc de compresser la chronologie de l’œuvre, et la chose a un effet dramatique. Ender est un génie dès son plus jeune âge, dans le film il réussit tout avec brio, dans le livre il échoue à de nombreuses reprises pendant son entraînement ce qui le fait, petit-à-petit, grandir, évoluer, et devenir un personnage attachant et intéressant. Et le raccourci pris d’éviter tous ces échecs détruit complètement l’intérêt du personnage. On ne s’attache pas à lui, et à peine à ses acolytes. On va droit aux faits et à l’action. Sauf que ce n’est pas le point, on rate intégralement la fatigue morale et psychologique des personnages et les effets désastreux de la politique des militaires sur leurs esprits de génie. A la fin du film, ils sont fatigués, mais joyeux, et n’ont pas l’air tellement affectés par les horreurs des derniers jours. Dans le livre, ces mêmes personnages sont détruits moralement. Pas que je me complaise à voir des enfants souffrir (encore que), simplement que le film n’ose pas être l’œuvre de science-fiction basée sur la psychologie de ses personnages qu’il est censé être.
D’autre part, si le film privilégie les actions et le narratif, il garde le déroulement, et donc le rythme, du roman très psychologique et donc assez lent. Tout ça rend l’action peu convaincante et le film est mi-figue, mi-raisin. Or, quand une œuvre ne sait pas vraiment ce qu’elle veut être, elle est généralement médiocre…
Et sinon, le film ?
Un film ce n’est pas qu’une histoire, bien sûr. Le casting promettait quelques bons moments. Mais Harrison Ford semble peiner à se convaincre lui-même malgré quelques scènes où il semble inspiré. Asa Butterfield est loin de sa prestation d’Hugo Cabret, le début de la puberté et la coupe militaire influençant peut-être sa capacité à avoir l’air innocent. Nonso Anozie est, quant à lui, le drill sergeant le moins convaincant de l’histoire de l’humanité. Oui, il est impressionnant, mais avec sa tête ronde, son manque d’expression et son côté nounours, ça donne l’impression qu’il est en train de passer de la pommade à une jument.
Côté effets visuels, tout est propre, mais incroyablement kitsch. La direction artistique accuse son âge, oui, celui du roman, un peu de modernité n’aurait pas été détestable. Mais surtout, chers réalisateurs, si vous voulez orienter votre film sur l’action, il faudrait s’assurer de réussir les scènes d’actions ! C’est joli, c’est aérien, il y en a peu, bref parfait pour un thriller psychologique, et vraiment pas assez dynamique pour un film d’action…
Si vous n’avez pas encore compris où je voulais en venir, c’est très simple, allez lire le livre. De toutes façon la suite est en grande majorité dépourvue d’action, et plus orientée sur la théologie et la philosophie, ils seront donc (heureusement) dans la merde pour en faire des films, à fortiori s’ils veulent faire de l’action !
La minute spoil
Pour bien tout comprendre, rien ne vaut un exemple du point auquel le film rate le coche.
Dans la Stratégie Ender survient un petit jeu rigolo qui sert à la psy à évaluer l’équilibre mental des recrues. Dans le livre, tous les élèves ont accès à celui-ci et il comporte de nombreuses étapes, dans le film, seul Ender y joue et on n’en voit que la phase suivante. Le joueur contrôle une petite souris toute mignonnette. Celle-ci arrive face à un géant qui lui montre deux coupes emplies d’un liquide étrange. Le géant s’exclame alors :
« Salut petite, dans une des coupes, il y a du poison, dans l’autre non, choisis bien. Indice : je suis un rustre ! »
Ender choisit la coupe de gauche, la souris meurt dans d’atroces souffrances. Il recommence, et prend celle de droite, même chose. Et là, va se créer sous vos yeux le schisme le plus révélateur !
Dans le livre, Ender réessaye maintes et maintes fois avant de s’exclamer, dans un juron plein de rage : « Palsembleu ! Ce rustre de géant me court sur la gaudriole, je lui saute à la gueule, bouffe son œil et creuse pour aller grignoter son cerveau ! » Une solution extrême induite par la frustration de centaines d’échecs qui pèsent sur l’esprit du personnage.
Dans le film, Ender, dès le troisième essai et sans le moindre énervement défonce allègrement le géant sous les yeux ébahis d’un autre enfant (et de la psy). A la question « pourquoi » de l’enfant à ses côtés, il se contente de répondre « C’est ce qu’ils attendent de nous » en conservant une absence d’expression totale induisant donc que le personnage est un dangereux sociopathe.
2 Comments
Asa Butterfield va avoir du mal à se renouveler. Il était à la limite du sur jeu dans Hugo Cabret et le passage de l’adolescence va être dur pour lui 🙂
C’est clair qu’il ne se positionne pas vraiment pour une carrière glorieuse avec tout ça…